Ses meubles, jeux de volume aux lignes fluides et aériennes, ont conquis le monde entier – des galeries d’art aux expositions et aux biennales les plus pointues. C’est dans le quartier de Niaréla, à Bamako, où il a fondé son atelier, Diallo Design Studio -et où il s’est réinstallé voilà quatre ans-, que le designer Cheick Diallo a façonné son style. Une « écriture » comme il dit souvent, qui se nourrit de son environnement, de ses usages, et où la récupération, le recyclage et le détournement ont fait de lui un visionnaire salué –et beaucoup copié. D’abord formé à l’architecture - à l’Ecole nationale d’architecture de Normandie-, Cheick Diallo est aussi diplômé de l’Ecole nationale supérieure de création industrielle de Paris. En 1993, il remporte un concours organisé par le Musée des Arts appliqués, grâce à deux de ses créations, la chaise « Rivale » et la lampe « Ifen ». En 1995, après avoir été remarqué sur des salons du design et de la maison, il participe à la grande exposition itinérante Africa Remix. Sa carrière est lancée. MO, l’un des fauteuils qui l’a rendu célèbre et qui puise son inspiration dans l’entrelacement des cordes des pièges des pêcheurs du fleuve Niger est aujourd’hui un « classique » exposé dans les musées. C’est là toute la force de son travail, au delà d’une esthétique dont l’œil averti peut désormais reconnaître la signature : chacun de ses projets raconte une histoire continentale, loin des clichés, et qu’il participe à fixer. Ses chaises, ses armoires, ses lampes, la manière dont il a su si bien transformer des fils de nylon, des pneus, des fonds de bouteilles en verre ou du métal recyclés en des produits de luxe, sont une invitation constante à la réflexion sur l’environnement et le développement (créatif) durable. Touche-à-tout de génie, dont les grands magazines de décoration célèbrent le talent, Cheick Diallo travaille aussi le textile, les arts de la table et collabore avec des hôtels, qui font appel à lui pour créer leur mobilier et agencer leurs espaces. En attendant de créer à Bamako le showroom didactique dont il rêve, le designer continue son dialogue incessant avec les artisans.
INTERVIEW
Vous avez commencé votre carrière de designer en France, où vous avez fait vos études. Étiez-vous à l’époque perçu comme un « designer africain », avec un propos africain ?
En entreprenant ces études, je voulais être designer, pas le porte-drapeau d’un continent. Quand j’ai commencé, il y avait peu de designers ouest africains et le design africain contemporain était peu connu. L’Afrique suscite la curiosité mais aussi des attentes. On lui prête des cultures ancestrales, des artisans, des traditions, un monde d’objets très riche. Et on attend souvent que le créateur africain soit capable de restituer cela, dans un design « barbare » ou « ethnique ». J’ai préféré baser mon travail sur un « concept » en m’interrogeant sur la manière dont les africains reçoivent chez eux. Comment agencent-ils leurs espaces, comment les meublent-ils ou peuvent-ils les meubler ? Leur mode de fonctionnement a généré des objets et ma quête en a crée d’autres.
Vous vous êtes d’emblée auto-édité. Est-ce que cela a nécessité un gros investissement de départ ?
Je me suis auto-édité car « on » m’avait dit que mes créations étaient «trop fortes pour les «gens«. Avec une pelle à neige, par exemple, j’avais réalisé un tabouret. Mais c’est qui « les gens » ? Je ne savais pas. Comme l’Etat malien m’avait demandé de former des designers, j’ai pu réinvestir l’argent de cette mission dans la création de mon atelier à Bamako. Mon objectif était que les artisans avec lesquels je travaillais aient plus que leur savoir-faire. Que l’on puisse ensemble s’imposer une « écriture », des process qui puissent s’adapter partout et en toutes circonstances. On a touché à tout : au textile, aux arts de la table, à l’architecture. Je voulais aussi qu’ils puissent changer de regard sur leur propre travail, leur enseigner de nouveaux outils, leur apprendre à gagner du temps, à être plus précis. Ce fût là le véritable investissement.
Désormais installé à Bamako, vous faîtes du « made in Africa », même si certains matériaux viennent de l’extérieur comme le fil à pêche. Est-ce que, d’un point de vue commercial, ce « label » est une valeur ajoutée?
Cela fait 30 ans que l’on se bat pour la reconnaissance du « Made in Africa». A l’époque, nos créations étaient une curiosité exotique. En Afrique, hélas, pour beaucoup, c’est encore perçu comme quelque chose d’archaïque. Mais au gré des projets, des rencontres, des expositions, les gens ont commencé à changer de regard. C’est souvent synonyme aujourd’hui d’artisanat.
Votre succès, comment l’expliquez-vous ? Quel a été le déclic ?
J’ai transformé un fauteuil populaire, utilisé souvent dans nos maisons par les gardiens, en un produit plus cossu. On a juste changé les formes, sophistiqué la facture, tout en conservant le fait main et les mêmes codes sociaux. Il a été vendu en Europe et présenté sur des expositions importantes, comme Africa Remix, la Biennale du design de Saint-Etienne ou Scénes intérieures (ndlr : devenu Maison&Objet), qui repéraient les talents émergents. Cette première étape a été stratégique et décisive.
Quels sont les marchés qui se sont le plus intéressés à votre travail et pourquoi, selon vous ?
L’Afrique du Sud, l’Europe du nord (Belgique, Suisse, Hollande), les Etats-Unis. Ce sont des endroits où j’ai eu des agents.
Quel est votre modèle de diffusion? Si je veux acheter un produit Cheikh Diallo, où puis-je le trouver?
On a longtemps tergiversé entre galerie, maison, marque. On ne peut pas tout faire. Certaines boutiques nous ont donc passé commande, il y a aussi des pièces plus « muséales » (ndlr : destinées à être exposées dans le cadre d’expositions et de galeries) et enfin notre production locale pour les particuliers et les projets de décoration pour les hôtels.
Vous travaillez beaucoup le plastique, le nylon et vous avez été beaucoup copié. Votre fameuse chaise, justement, a été répliquée à l’infini. Quels conseils donnez-vous aux jeunes designers qui, souvent, sont terrifiés par la copie ?
Le fil, je ne l’ai pas inventé. En revanche, le style, c’est la signature de tout designer. Faîtes-vous connaître par une « écriture » rien qu’à vous, un style spécifique. Si l’on prend l’exemple de ce fil, c’est ce que vous allez en faire qui fera la différence avec un autre.
Quel est le principal frein, selon vous, à l’expansion des jeunes designers africains, soit en Occident, soit même sur les marchés secondaires africains ?
La structuration. Beaucoup de jeunes designers sont autodidactes. Leur vision du design est avant tout « artistique ». Or, on ne peut pas créer sans tenir compte de son environnement. Il n’y a pas, en Afrique de l’Ouest, de marché du design à proprement parler et 90% de la population malienne, par exemple, ne sait pas ce qu’est le design… Il y a des lieux de production, des plateformes, mais il manque des espaces où l’on puisse voir du design et consommer du design.
D’où votre volonté de créer un centre de formation ?
C’est un vieux projet, oui. Il y a une obligation à former des designers. Mais aussi à sensibiliser nos contemporains au design, pour qu’ils deviennent nos acheteurs de demain.
LES 3 CONSEILS DE CHEIKH DIALLO AUX ENTREPRENEURS
Conseil 1 – Renseignez-vous sur ce qui existe déjà. Analysez les créations et prenez du recul. Beaucoup, voire tout a déjà été inventé. Comment, vous, vous allez faire avec ce qui existe déjà : c’est là où vous trouverez votre style. Trouvez un filon novateur : le design, sans innovations, n’existe pas.
Conseil 2 – Il faut vouloir rendre la vie des gens plus « commode ». Le design, ce n’est rien d’autre que vouloir proposer des services aux autres. Leur apporter du confort. Il faut ce désir-là, cette générosité. Sinon, changez de métier.
Conseil 3 – Apprenez à communiquer sur votre histoire. Le pourquoi de votre objet, il faut le transmettre à vos futurs acquéreurs. Il faut que par votre discours, la chaise que vous allez inventer, ou les couverts, puissent dire « achetez-moi » plutôt qu’un autre produit. C’est l’histoire et le concept qui feront la différence.
Le travail de Cheikh Diallo est représenté par la galerie 50, Golborne à Londres.
Pour toute commande : Diallo Design - 223 78 77 05 68
Comments